Un discours de Simone Veil à l’Assemblée Nationale

Le 26 novembre 1974, Simone Veil est à la tribune de l’Assemblée Nationale pour présenter son projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Son discours est construit selon la rhétorique classique, l’exorde, la narration, l’argumentation, la réfutation et la péroraison. L’avortement est une pratique suffisamment discutée à l’époque pour nourrir toutes ces étapes de son discours. Cependant nous savons qu’un discours, aussi bien construit soit-il, peut endormir un public. Ce ne fut pas le cas de celui de Simone Veil.

Dans ce discours, l’oratrice présente la caractéristique rare dans la parole politique, d’une forte présence sans arrogance. A sa place, beaucoup auraient cru trouver dans la gravité du sujet une raison de forcer sur le jeu de manche et l’effet de voix. Chez Simone Veil, rien de tout cela. Les mains détendues reposent sur le pupitre où sont posées ses notes. Pas un geste ne les fait s’envoler, elle ne s’en sert pas non plus pour s’appuyer sur le pupitre. Douce, puissante et douée d’un ambitus étonnant entre les aiguës et les graves, sa voix n’est jamais si peu que ce soit menacée de craquer. Et lire ses notes ne l’empêche pas de regarder souvent l’assemblée, ce qui lui permet de ne pas l’oublier lorsqu’elle baisse les yeux pour lire. Outre sa voix bien timbrée, elle garde ainsi pour ses auditeurs un rythme posé qui lui permet de ne pas les perdre. Ils sont ses invités dans sa pensée.

Simone Veil se limite modestement mais opiniâtrement à faire sonner les mots de son discours. Elle rend ainsi ses lettres de noblesse à la déclamation qui, contrairement à la caricature qu’on en fait trop souvent, n’est ni grandiloquente ni arrogante. Elle vibre de ses mots et fait vibrer à l’unisson le corps de ses auditeurs.

Rare dans la parole politique, est aussi le ton juste de cette oratrice. Elle n’a pas l’idée de « mettre le ton », comme on l’entend trop souvent demander aux élèves qui récitent à l’école et du coup sonnent faux. Son travail sur le seul son, fait que ça n’est plus Simone Veil qui parle aux députés, mais la Ministre. On entend la voix d’un personnage. A cette nuance près, qui n’est pas rien, c’est toujours Simone Veil qui parle. A-t-on besoin de mettre le ton quand on parle ? C’est parce qu’elle n’essaie pas de le mettre qu’il est juste.

L’Art Oratoire naît d’une aspiration permanente de l’orateur à partager ce qu’il ressent de sa cause avec ceux qui l’écoutent. C’est ainsi que se construit le « discours amoureux » si cher à Roland Barthes.

 

Stéphane André

Le discours de Simone Veil en novembre 1974