«Les paroles s’envolent, les écrits restent»…Vraiment ?

En enseignant l’Art Oratoire, nous sommes souvent confrontés à une résistance des enseignés qui jugent qu’une parole ne sera jamais aussi valable qu’un bon écrit. En témoigne le diction populaire « les paroles s’envolent, les écrits restent ». Nous sommes  parfois tentés, un peu facétieusement, de rétorquer que si c’est le cas, notre interlocuteur devrait s’engager à ne plus communiquer que par mail, ou texto. Devant cette perspective  de communication assez solitaire, notre interlocuteur ressent, que non, il est des circonstances où l’oral peut avoir son sens. Nous pouvons dès lors lui enseigner les spécificités de l’oral et ses apports.

Et puis parfois, nous tombons sur un texte, écrit, qui vante avec maestria les mérites de l’oral. Comme quoi l’écrit sait parfois entériner l’histoire, en l’occurrence celle des rapports entre l’écrit et l’oral. Et parce que, cher lecteur, nous ne sommes pas dans une situation où je peux vous exposer à l’oral les mérites de la parole, je me suis dit que vous livrer dans l’écrit qui suit une réflexion de Laurent Binet, avait du sens. Il est tiré de son roman « La septième fonction du langage », couronné des prix FNAC et Interallié, paru aux éditions Grasset en 2015.

« Ce n’est pas moi qui affirme la supériorité de l’oral mais […] l’homme qui sans avoir jamais écrit un livre, a posé les bases de toute la pensée occidentale.

Souvenez-vous ! Nous sommes en Egypte, à Thèbes, et le roi demande : à quoi sert l’écriture ? Et le Dieu répond : c’est le remède ultime à l’ignorance.  Et le roi dit : au contraire ! En effet cet art produira l’oubli dans l’âme de ceux qui l’ont appris parce qu’ils cesseront d’exercer leur mémoire. La remémoration n’est pas la mémoire et le livre n’est qu’un pense-bête. Il ne donne pas la connaissance, il ne donne pas la compréhension, il ne donne pas la maitrise.

Pourquoi les étudiants auraient-ils besoin de professeurs si tout s’apprenait dans les livres ? Pourquoi ont-ils besoin qu’on leur explique ce qui est écrit dans les livres ? Pourquoi y  a-t-il des écoles et pas juste des bibliothèques ?  C’est que l’écrit seul jamais ne suffit. Toute pensée est vivante à condition qu’elle s’échange, elle n’est pas figée ou bien elle est morte. Socrate compare l’écriture à la peinture : les êtres qu’engendre la peinture se tiennent debout comme s’ils étaient vivants ; mais qu’on les interroge, ils restent figés dans une pose solennelle et gardent le silence. Et il en va de même pour les écrits. On pourrait croire qu’ils parlent ; mais si on les interroge, parce qu’on souhaite comprendre ce qu’ils disent, ils répèteront toujours la même chose, au mot près.

Le langage sert à produire un message, qui ne prend sens que dans la mesure où il y a un destinataire. Je vous parle en ce moment, vous êtes la raison d’être de mon discours […] Mais un texte à qui parle t-il ? A tout le monde ! Donc à personne. Quand une fois pour toute il a été écrit, chaque discours passe indifféremment auprès de ceux qui s’y connaissent comme auprès de ceux dont ce n’est point l’affaire, sans savoir quels sont ceux à qui il doit ou non s’adresser. Un texte qui n’a pas de destinataire précis est une garantie d’imprécision, de propos vagues et impersonnels. Comment un message pourrait-il convenir à tout le monde ? ».

L’écrit n’est jamais qu’un fossile de pensée. Il a l’utilité incontestable d’une trace -on ne peut qu’encourager à lire- mais il n’y a pas plus mort qu’un fossile. Sur ce, l’auteure de cet article se taira et vous laissera explorer une parole vivante, la vôtre, auprès d’un public vivant.

Marie Sophie Ahmadi