Vœux 2020 : Emmanuel Macron, grand orateur en puissance

Plus que les vœux d’un Président de la République, nous avons vu et entendu la personne d’Emmanuel Macron soucieuse de convaincre de sa sincérité, comme s’il doutait d’y parvenir. Il lui manquait sans doute la distance par rapport à son personnage de Président ; elle lui aurait permis d’héberger dans son corps en toute sérénité le personnage du Président et toute sa puissance. Sa façon maladroite, un peu rigide, de se tenir au début de son discours laisse penser qu’il n’était pas loin d’y parvenir. C’est un orateur en puissance. Encore eût-il fallu qu’il imaginât dans l’œil de la caméra le regard des Français qui l’écoutaient, pour l’accueillir passionnément dans le sien et s’en sentir ainsi physiquement solidaire, comme Robert Badinter face à son amphi. Il se serait alors grandi dans la verticalité naturelle et sans rigidité des grands orateurs. Comme Robert Badinter, il eût été « puissant dans le sentiment ». Or celui qu’il exprima dans ces vœux fut en toute bonne foi plus joué que réel.
Il n’est pas aisé de voir votre public dans l’œil d’une caméra tout en lisant le texte de votre discours qui défile devant vos yeux. Or sans contact avec l’autre, vous ne pouvez que simuler le sentiment. Emmanuel Macron n’est pas en cause. Orateur formé à la française, on l’a persuadé que la puissance du discours est essentiellement contenue dans la phrase écrite, et qu’il suffit d’y greffer le ton « qui va bien » pour qu’elle émeuve, même si l’on ne le ressent pas soi-même. D’où, vers la fin de son texte, des phrases au contenu ambitieux… dont la presse du lendemain ne dira strictement rien. « Nous sommes un peuple de bâtisseurs, un peuple de temps long ». Pourquoi pas ? Mais pour émouvoir, ces phrases devaient au moins être dites par la voix vibrante d’un Robert Badinter. Elles auraient aidé les Français, et au premier chef leurs négociateurs, comme c’était leur but, à filer tout droit vers la résolution du conflit sur la réforme des retraites. Il est à craindre qu’elles n’aient été qu’un coup d’épée dans l’eau.
Et si l’année prochaine Emmanuel Macron présentait ses vœux aux Français sans lire son texte, en les regardant avec passion dans l’œil de la caméra et en deux fois moins de temps ? Il en a l’étoffe.

Stéphane André