Pouce ! Je prépare.

Nous ne sommes jamais sollicités pour parler en public que sur des sujets qui relèvent de notre activité quotidienne. Et c’est aussi en exerçant cette activité que soudain l’idée nous vient d’aller négocier avec tel ou tel actuel ou futur partenaire. Dans les deux cas il faudrait entrer en action sur le champ, car notre esprit est déjà prêt. Mais le plus souvent le trac nous fait hurler dans notre tête : « Pouce ! Je prépare ». Nous nous retirons dans un bureau où, seul ou avec des conseillers, nous construisons le chemin du discours ou de la négociation à venir et le fixons dans notre esprit ou sur des feuilles de papier. Fort de cette préparation, nous sommes prêts pour la rencontre.

Lorsqu’elle commence, le chemin mémorisé et (ou) les notes qui nous accompagnent sont la trace sans vie de l’idée telle que nous comptons la défendre aujourd’hui, formulée telle que nous la formulions hier. En revanche, nos interlocuteurs bien vivants face à nous sont l’avenir de cette idée. Demain, soit ils en tiendront compte dans leurs actions, ils en parleront à d’autres et elle vivra, soit ils l’oublieront et elle disparaîtra.
Dès lors, l’orateur qui colle à ses notes ou au chemin gravé dans sa mémoire cherche désespérément à enfermer l’avenir de l’idée qu’il défend dans la trace inerte de son passé comme dans un cercueil. Détenteurs de cet avenir, les interlocuteurs préfèreront toujours ne plus l’écouter, plutôt que de le laisser accomplir son sinistre projet. Au contraire, l’orateur qui se tourne vers ses interlocuteurs à leur contact redonne vie à l’idée qu’il défend, la libère des traces de son passé et lui offre un avenir. Simples auditeurs ou négociateurs, ses interlocuteurs lui seront toujours reconnaissants de la confiance qu’il leur accorde.

Lorsque nous voulons servir nos idées par la parole, notre difficulté à faire de nos interlocuteurs notre première ressource ne vient ni de ce que nous avons gravé dans notre mémoire en préparant, ni de nos notes. Elle ne s’explique que par notre compulsion à nous y cramponner comme des naufragés se cramponnent à une planche en pleine mer.

Stéphane André