Nous comptons sur VOUS !

Un travers d’expression parfaitement normé dans notre vie publique est celui des managers qui, l’espace d’un instant, cherchent à se transformer en tribuns dans les « kick off » annuels, pour en appeler au courage de leurs collaborateurs. « … Nous comptons sur VOUS !… » les apostrophent-ils dans la conclusion de leurs discours.

Ils jettent en avant les bras, la tête et le buste pour viser le public de leurs deux index tendus. Ils forcent la voix sur le « VOUS » pour passer l’obstacle de leur larynx complètement aplati dans le cou. Et, les yeux écarquillés, ils portent sur le visage un rictus qui se voudrait joyeux mais qui montre plutôt la peine qu’ils prennent à produire leur effort. Elle ne peut qu’attirer au mieux la compassion du public et rien de plus.

Au fil de nos années d’observation du monde de l’entreprise, nous n’avons jamais vu ce « … Nous comptons sur VOUS !… » produit autrement. C’est un travers d’expression parce que le corps peine dans une posture qui ne lui est pas naturelle au sens fort du terme. Elle ne respecte pas la nature de l’homme, qui est d’abord d’être un animal vertical. L’orateur devrait justement revendiquer sa verticalité dans les moments les plus importants de sa vie publique, comme par exemple dans cet appel au peuple de l’entreprise. Il s’y montrerait magnifique et puissant dans le sentiment. C’est en général justement là qu’il la perd.

Le plus triste, c’est qu’à la différence de la plupart des travers d’expression normés dans notre culture de l’oral, celui-ci est consciemment voulu par le manager qui pense bien faire. C’est dire à quel point notre culture de l’oral est aujourd’hui loin de la nature.

 

Stéphane André