La peur mauvaise conseillère

Un politique bon orateur accueille avec bonheur les questions pièges des journalistes. Elles le poussent à aller au bout de ses idées, il voit le journaliste comme un sparing partner. Un politique qui ne maîtrise pas l’Art Oratoire craint les mêmes questions et voit le journaliste comme un adversaire dont il se fait à son tour l’adversaire, oubliant sur le champ auditeurs et téléspectateurs. Il leur apparaît dès lors comme un quidam ordinaire pris dans une discussion de café du commerce, certainement pas comme un élu ou un candidat à une élection.
Depuis maintenant bien longtemps, Benjamin Griveaux promène son dos vouté et sa tête pendante dans les médias. Il présente la même mollesse physique qu’Anne Hidalgo et la même voix paressant dans ses fosses nasales. Petite différence avec elle, il s’énerve plus facilement. C’est une simple nuance stylistique qui ne change rien au fait que tous deux sont des orateurs également insuffisants, sans voix ni verticalité.
Le 16 janvier sur LCI, Benjamin Griveaux répondait aux questions d’Elisabeth Martichoux. Vers le milieu de l’interview, énervé et penché en avant, il attaque la journaliste : « Vous assénez des vérités, Elisabeth Martichoux, les profs m’aiment pas, les jeunes parents aiment bien Madame Hidalgo, ça n’est pas mon problème. Moi, mon sujet c’est de proposer des choses pour les enfants… ». Emporté par sa colère contre la journaliste, plutôt que d’ouvrir pour nous le dossier de ce qu’il propose pour les enfants, il le ferme en deux formules et lui jette précipitamment à la figure. Il en vient très vite à des attaques contre la personne d’Anne Hidalgo, qu’il adresse à la journaliste comme si elle la représentait.
Cette interview illustre bien la façon dont Benjamin Griveaux se comporte en général dans le débat public.
De même qu’un mauvais acteur peut massacrer une bonne pièce, un mauvais orateur politique peut massacrer un bon dossier. Celui qui ne regarde pas son interviewer ou son contradicteur comme un partenaire dans le jeu démocratique n’a pour seul souci que de le contenir. En mobilisant toute son énergie dans son visage comme pour le bloquer physiquement, et en passant plus de temps à attaquer ses questions ou ses positions, qu’à évoquer ses propres propositions. Et quand ils les évoquent, c’est pour les imposer à leurs vis-à-vis, au lieu de les exposer de façon claire pour les auditeurs et les téléspectateurs. Nicolas Sarkozy en son temps, Donald Trump aujourd’hui sont des exemples parfaits de cette façon de faire.
Lorsque les idées ne passent plus par le corps magnifique des grands orateurs, la peur et la haine de l’autre qui l’accompagne, menacent l’écologie sociale d’une ville, d’un pays et même d’une entreprise. A la place que nous occupons dans l’une de ses organisations ou dans d’autres, nous pouvons tous devenir de grands orateurs. Aujourd’hui ils sont rares. Nous en sommes tous responsables.
Stéphane André