Jean-Marc Fert – Quelques mots sur l’acquisition de la parole dans l’éducation nationale

KONICA MINOLTA DIGITAL CAMERAEn latin le verbe « for, fari » signifie « parler ». Il est à l’origine de nombreux dérivés en latin puis en français. On le retrouve évidemment dans le forum, mais aussi dans la fable, les adjectifs fameux ou mal famé. C’est aussi lui qui s’entend dans le « f » de professeur comme dans le « f » d’enfant. Le professeur est donc « celui qui fait une déclaration devant les autres, une déclaration publique » (une profession de foi, par exemple), alors que l’enfant est « celui qui ne parle pas, le non-parlant ».

On comprend alors pourquoi en classe, la phrase la plus souvent prononcée par tous les enseignants est : « Taisez-vous ! », et pourquoi les élèves, même adolescents ou jeunes adultes se plaignent d’y être infantilisés.

De fait, les relations traditionnellement instituées à l’école produisent ce fait étonnant : on ne s’y parle guère ! Le professeur professe, les élèves se taisent, bavardent ou récitent. La parole finalement s’échange entre eux sans aucune régulation éducative dans la scène pleine de bruit et de fureur de la « récréation » où l’on a quelques minutes pour recréer un réel espace de vie.

Le plus grave, peut être, c’est l’exclusion du subjectif. Le texte officiel entendu, celui de la leçon, fait constamment l’impasse sur une expression subjective de soi. Dans le quotidien scolaire, le « je » est banni, alors comment espérer y éduquer un sujet de droit ? Y faire advenir des personnes libres et responsables ? La relation instituée est faite de monologues impersonnels, elle entrave le dialogue avec sa réciprocité féconde.

Les enseignants, au quotidien, tentent constamment de jongler avec plus ou moins de talent entre l’obligation de respecter des normes autoritaires obsolètes et intenables, et le fait d’assumer la réalité complexe des relations éducatives. Comme on ne les y a pas formés, ils assument ces contradictions souvent avec une implication qui mérite notre respect, et parfois au risque de leur santé.

Les remèdes sont connus : pédagogies « nouvelles », pédagogies actives, Freinet, Montessori, Groupe Français d’Éducation Nouvelle, et bien d’autres. Quels drames humains, quels échecs de l’institution devrons-nous endurer avant qu’on ne se décide à dépoussiérer un système qui se prétend républicain, mais qui eut ses heures de gloire à l’époque de l’Empire Colonial Français, et qui place toujours au pinacle les « grandes » écoles fondées par l’Empereur ? Est-ce cela qui est à l’origine de la crise de confiance des milieux populaires qui n’ont pas voix au chapitre, envers des élites qui sont réputées ne pas respecter leurs promesses, c’est-à-dire ne pas « avoir de parole » ?

Jean-Marc Fert, 26 juin 2015.

Commentaires

  1. Desfosses

    Bravo !
    Demain, c’est groupe de travail au lycée. J’espère faire sortir mes collègues du tout répressif !
    Merci pour vos conseils.

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