Emmanuel Macron nous regarde

Indépendamment de toute opinion politique, le 13 avril Emmanuel Macron s’adressant aux Français est parvenu à émouvoir. Le 16 mars, son discours nous annonçant le confinement avait été laborieux. Son « Nous sommes en guerre ! » six fois prononcé semblait trop réglé d’avance. Le procédé restera dans l’histoire un peu comme le « Au revoir ! » artificiel télévisé du Président Valéry Giscard d’Estaing laissant son fauteuil à François Mitterrand en 1981. Emmanuel Macron, orateur plutôt cérébral, a souvent du mal à dépasser une rhétorique écrite pour la réinventer dans la puissance du discours. Il est comme le comédien amateur qui peine à se libérer du rythme régulier des alexandrins pour leur faire donner toute leur puissance dans le jeu dramatique.

Toujours face aux caméras, le 13 avril le discours d’Emmanuel Macron commence comme celui 16 mars. Puis peu à peu le haut du corps s’allège et le geste se libère. Ses coups de menton ne sont plus systématiques. Ses cervicales se réalignent fréquemment sur les dorsales et les lombaires, notamment pour soutenir ses fins de phrases piano mais pourtant audibles. Cette verticalité retrouvée de l’instrument, même lorsqu’il se penche vers nous, lui permet une voix plus musicale, moins nasale que d’habitude. Et de longs silences arrêtent parfois le défilement du prompteur. C’est alors sa relation à nous qui commande son rythme, et non plus la machine. Pendant ces silences, on a vraiment le sentiment qu’il nous voit et nous attend, et qu’il attend aussi que s’opère en lui le changement d’état qui le fera entrer dans une nouvelle phase du discours. Le corps est prêt avant le texte, ce qui rend surprenants ses changements de tons. La rhétorique écrite est dépassée. Il éprouve ce qu’il dit. Même confiné dans son bureau, Emmanuel Macron fait alors une incursion très nette au pays des orateurs.

Je ne crois pas que son progrès entre le 16 mars et le 13 avril soit due à des conseils techniques qu’on lui aurait donnés entre temps. Je crois plutôt que les multiples attaques qu’il a reçues de ses opposants depuis le 16 mars lui ont donné des ailes. Elles l’ont poussé à faire ce que lui seul pouvait faire, puisqu’il est Président : rencontrer tous les Français par-dessus la tête de ses opposants. Valéry Giscard d’Estaing voulait « regarder la France au fond des yeux », il n’y est jamais parvenu. Le 13 avril dernier, sur la fin de son discours Emmanuel Macron l’a fait.

Une situation peut parfois faire surgir un orateur. Mais le miracle ne dure que le temps que dure la situation. En Art Oratoire comme partout, rien ne remplace le travail si l’on veut être régulièrement performant.

 

Stéphane André

 

Revoir l’adresse aux Français du Président Emmanuel Macron du 13 avril 2020 :