Eloge d’un exorde

Quelques jours avant le 11 mai, date du début du déconfinement, le sénateur et médecin épidémiologiste Claude Malhuret, a fait un discours remarqué à la tribune du Sénat. Il débute ainsi : « Déconfiner ou ne pas déconfiner, telle est la question ! Je suis fatigué de découvrir que nous avons autant d’experts pour y répondre sur toutes nos chaînes de télévision ». Suit une description particulièrement drôle des « grands experts », des « petits experts », des « soi-disant experts », des « faux experts » puis, en tête des politiques, du « Professeur Mélenchon de la faculté de médecine de La Havane ».

Le lendemain cet exorde fit le buzz. Quasiment tous les médias, radio et télévision, l’ont retransmis. Mais de la suite du discours il ne fut pas question. Ni des trois contre-vérités que Claude Malhuret a démontées sur les causes de la pandémie et ses remèdes, ni des conseils qu’il a donné au Premier Ministre en première ligne dans le déconfinement.

La lecture en public est une épreuve difficile. Elle contraint l’orateur à faire de multiples allers et retours du regard entre son public et le papier tenu en main ou posé sur le pupitre. L’effort physique s’en trouve augmenté, partant la fatigue. Peu à peu dans la tête de l’orateur le papier prend le dessus sur le public. Ses regards sur le public se font plus rares, plus brefs et plus vagues. L’orateur n’est plus guidé que par ses notes et n’attend plus son public. Le rythme s’accélère, l’articulation se fait moins précise et le ton monotone. C’est ce qui est arrivé à Claude Malhuret.

Cet orateur ne manque pas de qualités. Il a une jolie voix et dans son exorde il adresse de vrais regards à son public. Il cale sur lui un rythme qui lui apporte des silences propices aux reprises de souffle et aux changements de ton. Mais à la fin de l’exorde, qui dure entre une et deux minutes, il entre dans le développement et les choses sérieuses commencent. Un incident sans importance formelle se produit : « … les populistes et les complétistes, les complotistes, pardon !… ». Pour un orateur expérimenté un tel lapsus est l’indice d’un déséquilibre du rythme qui lui demande de ramener son regard vers le public pour en reprendre la maîtrise. Mais le sénateur n’en fait rien. Les yeux sur le papier il enchaîne sans s’arrêter : « … devraient pourtant savoir puisque même Google le dit… ». Le texte devient plus complexe. L’orateur s’attache donc plus à ses notes. Sa diction n’aura plus le relief, ni par conséquent l’esprit. L’exorde seul a fait le discours.

S’il faut choisir, choisissez le public et lâchez le papier !

 

Stéphane André

 

Ecouter le discours de Claude Malhuret au Sénat