Catherine Deneuve piégée

Je ne suis certainemeDeneuvent pas le seul à m’attrister de voir Pierre Arditi, comédien admirable et qui ne manque pas de travail, paraître dans un film publicitaire vantant les mérites d’une grande banque à la télévision. « Le Monde » a publié cet été une série de six articles sous le titre « Les stars et la pub ». Le deuxième de la série, publié dans le numéro du 23 juillet, raconte ce qui est arrivé à Catherine Deneuve le 9 novembre 1987.

Le groupe BDDP l’avait engagé pour participer à la campagne de privatisation de la Compagnie Financière de Suez. Elle apparaissait à la fin de plusieurs films évoquant l’histoire de cette compagnie pour conseiller : « Bientôt vous pourrez devenir actionnaire de Suez. Réfléchissez. ». Dans le dernier film de la campagne, « tailleur noir et visage en pleine lumière » dit l’article qui montre la photo, elle évoquait « ses choix avisés de films, de réalisateurs… et d’épargne » et terminait en disant : « Chez Suez, ce sont des stratèges de l’argent. Réfléchissez. ». Juste après survint le krach boursier du 19 octobre, et le 9 novembre pour son premier jour de cotation l’action Suez perdait 17%.

La campagne de privatisation fut un succès dit l’article. Nombreuses furent donc les victimes de la belle Catherine. Cela ne l’empêcha pas d’empocher les 3 millions de francs qu’elle avait demandé pour le prix de sa participation à cette campagne. Plantu en tête, toute la presse s’en donna à cœur joie sur son compte. La dame s’est déclarée « choquée par la méchanceté des journaux, et surprise que les dirigeants de Suez ne l’aient pas défendue ». Elle aurait dû simplement s’estimer heureuse qu’aucune de ses victimes ne l’ait attaquée en justice.

L’église du Moyen Age avait excommunié les comédiens avec l’argument suivant : l’homme étant un être créé à l’image de Dieu, imiter l’homme c’est imiter Dieu ; cette prétention méritait l’excommunication. Décision scélérate quand on sait ce que représentait à l’époque l’excommunication, puisqu’elle voulait seulement lutter contre la naissance du théâtre profane en Europe, qui risquait de concurrencer auprès peuple la représentation des mystères religieux. Mais la définition que donnait l’église du métier du comédien était juste : imiter l’homme.

Le métier des acteurs consiste à proposer à la société un miroir en incarnant des personnages de fiction imaginés par des auteurs de génie (si possible). Qu’allait faire Catherine Deneuve dans la réalité d’une campagne de pub galère ? Elle n’imitait plus personne. De surcroît, son avis sur la Compagnie Financière de Suez valait ce que vaut aujourd’hui celui de Pierre Arditi sur la banque LCL, c’est-à-dire rien du tout. Trois millions de francs, c’est cher payer pour un avis sans valeur.

Il n’y a qu’une seule explication à la générosité des annonceurs à l’égard des comédiens de renom qu’ils engagent : leur seule image rapporte. Ceux qui acceptent de la leur vendre participent donc au montage d’une arnaque puisqu’ils ne comprennent rien à ce qu’ils disent. Le montant de leurs cachets est  suffisant pour calmer leurs éventuels problèmes de conscience.

Un jour viendra où des comédiens en pleine représentation se feront apostropher par des spectateurs, qui leur demanderont des comptes sur des avis qu’ils auront donné sur tel ou tel produit qui aura empoisonné leur enfant ou provoqué leur faillite. Ce jour-là, le théâtre – et le cinéma avec lui, Madame Deneuve ! On peut boycotter un film – il aura perdu son mystère. Il ne sera plus crédible dans son rôle de miroir. Qu’adviendra-t-il de nous si nous n’avons plus de miroir, si l’art dramatique et les autres arts avec lui, pour les même raisons ,disparaissaient ? Nous vivrions dans un monde sans miroir. Comme les personnages du « Huit Clos » de Sartre nous serions en enfer.

Que les artistes continuent à construire le reflet de notre réalité. Qu’ils ne se mêlent pas de la construire. Construire la réalité, c’est le rôle des orateurs. S’il s’en trouvait plus dans notre société, on solliciterait moins des acteurs pour combler leur absence. Alain Afflelou a bien raison de faire lui-même la publicité de ses lunettes. C’est plus honnête, et plus rassurant pour le consommateur.

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